Les techniques d’amélioration de la compassion pour soi ne visent pas à augmenter l’autocomplaisance. Elles vous permettront de dompter votre critique intérieur tout en vous aidant à changer pour le mieux. — Par Brooke Schwartz (1)
Photo Karolina Grabowska (pixabay.com)
(1) Brooke Schwartz est psychologue et auteure. Elle vit à Los Angeles en Californie. Elle pratique la thérapie comportementale, écrit sur une variété de sujets liés à la santé mentale et se passionne pour la déstigmatisation de la santé mentale. Cet article est la traduction de son article paru sur le site psyche.co. Il est consultable ici dans sa version originale en anglais.
Le besoin de comprendre
Imaginez que vous vous prépariez à une situation avec de gros enjeux, comme une conversation difficile avec une amie, un match important ou une présentation orale devant le comité de direction de votre entreprise. Vous avez passé des mois à répéter ce que vous allez dire ou faire. Mais une fois que vous êtes devant votre amie, que le match commence ou que vous êtes face à vos collègues et supérieurs, vous perdez tous vos moyens. Aucun mot ne sort. Vous vous raidissez et vous ratez vos coups.
Anxieux, embarrassé, vous êtes terrifié à l’idée de perdre votre ami, d’être exclu de l’équipe ou de rater votre chance d’obtenir une promotion. Après coup, vous vous réfugiez dans un trou de souris pour pleurer ou vous recroqueviller sur vous-même, ou les deux.
Alors que vous êtes là, les larmes au bord des yeux et l’estomac retourné, vous êtes frappé par une rafale de pensées :
Vraiment ?
Elle ne me parlera plus jamais. / Je ne serai plus jamais sélectionné dans l’équipe. / Je n’aurai jamais de promotion.
Comment ai-je pu me planter alors que je me suis entraîné pendant si longtemps ?
Qu’est-ce qui m’a fait croire que j’étais compétent au départ ?
Je ne réussirai jamais rien.
Si, comme beaucoup de gens, vous vous imposez une pression ou des attentes injustes, vous connaissez sans doute bien ce genre de pensées autocritiques. Cela ne veut pas dire que vous les aimez, mais elles ont tout de même tendance à traverser votre esprit.
L’autocritique n’est pas efficace
Lorsque nous réagissons par l’autocritique dans des moments de détresse émotionnelle, nous faisons un effort délibéré pour réduire notre souffrance. En termes d’évolution, l’autocritique s’est développée en réponse à des émotions sociales telles que la honte, l’humiliation et la culpabilité, dans le but d’accroître notre sentiment de contrôle, de nous protéger du jugement des autres, de réorienter notre colère et de nous motiver à modifier nos comportements si une même situation se répétait. En bref, l’autocritique est une stratégie qui a été sélectionnée par l’évolution pour conserver sa place dans le groupe d’appartenance et survivre.
On constate souvent dans le cadre thérapeutique que les patients sont persuadés que plus ils sont durs envers eux-mêmes, plus ils seront motivés pour changer - et donc acceptés par les autres. S’ils prennent sur eux face à des émotions douloureuses, ils en sortiront plus forts. S’ils se fixent des standards impossibles à respecter, ils sont sûrs de les atteindre un jour. Leur conviction générale est que l’autocritique, sous toutes ses formes, permet de s’améliorer, de travailler plus dur et d’obtenir de mieux réussir.
Mais ce n’est pas si simple. L’autocritique n’augmente pas votre contrôle, mais trompe plutôt votre cerveau pour qu’il se sente en contrôle. Au lieu de vous protéger du jugement des autres, l’autocritique vous soumet au vôtre. Mais si cela permet de rediriger la colère, cela signifie aussi que les émotions sont réprimées plutôt qu’exprimées. Certains diront qu’ils ont besoin de l’autocritique pour se motiver à changer, mais cela va à l’encontre d’un principe fondamental du comportementalisme : la punition n’est pas aussi puissante que le renforcement.
Heureusement, il existe une voie plus douce, bien que moins fréquemment utilisée, que vous pouvez choisir d’emprunter et qui représente l’antidote à l’autocritique. Il s’agit de la compassion pour soi.
La compassion pour soi est une alternative avantageuse
La psychologue et spécialiste de la compassion pour soi, Kristin Neff, définit la compassion pour soi de la manière suivante :
être ouvert à sa propre souffrance et s’en émouvoir, éprouver des sentiments de bienveillance et de gentillesse envers soi-même, adopter une attitude compréhensive et non moralisatrice envers ses insuffisances et ses échecs, et reconnaître que sa propre expérience appartient au fait d’être humain, au sens d’une humanité partagée.
En bref, la compassion pour soi consiste à être un allié pour soi-même plutôt qu’un ennemi.
La compassion pour soi implique trois composantes étroitement liées : la bienveillance, le sentiment d’une humanité partagée et la pleine conscience. La bienveillance envers soi-même est comme son nom l’indique : c’est le fait de se traiter avec gentillesse, plutôt qu’en se critiquant avec sévérité. L’humanité commune implique de reconnaître que les êtres humains sont des créatures imparfaites et perfectibles qui sont toutes connectées les unes aux autres, ne serait-ce que par le fait qu’elles luttent toutes d’une manière ou d’une autre. Enfin, la pleine conscience est le processus qui consiste à ne pas repousser ni rester accroché à une pensée ou à un sentiment ; c’est l’expérience qui consiste à simplement observer les choses telles qu’elles sont.
La compassion pour soi est différente de l’estime de soi. Alors que l’estime de soi implique la comparaison de vos capacités avec celles des autres, ou avec un standard parfait, afin de vous sentir supérieur ou valorisé, la compassion pour soi vous oriente vers l’acte de prendre soin de vous indépendamment de vos capacités. Illustrons-le avec l’exemple suivant :
Une haute estime de soi : Chouette ! J’ai eu un A à ce test. Ça montre que je suis plus intelligent que la plupart des gens.
Compassion pour soi élevée : Chouette ! J’ai eu un A à ce test. C’est une juste récompense pour tous les efforts que j’ai fournis dans mes études.
L’estime de soi est axée sur les résultats, tandis que la compassion pour soi est le résultat d’un processus. Les recherches montrent que la compassion pour soi permet une plus grande résilience et une meilleure stabilité émotionnelle que l’estime de soi. Et ce n’est pas tout.
Alors que les effets de l’autocritique (par exemple, l’examen de conscience et l’isolement) peuvent évoluer vers des troubles de la santé mentale tels que la dépression et l’anxiété, la compassion pour soi offre une multitude d’avantages pour votre bien-être mental et physique. Les personnes qui ont un niveau élevé la compassion pour soi se jugent moins, souffrent moins de dépression et d’anxiété, utilisent des stratégies d’adaptation plus adaptées, sont motivées pour s’améliorer pour des raisons personnelle (par opposition à la recherche d’approbation sociale), s’acceptent mieux, se sentent plus connectées socialement et font état d’une plus grande satisfaction dans la vie. Par rapport aux personnes ayant un faible niveau la compassion pour soi, les personnes ayant un niveau élevé la compassion pour soi se portent également mieux sur le plan physique : elles présentent moins de symptômes de maladie, des douleurs de moindre intensité et un sommeil de meilleure qualité.
Ces avantages sont au moins en partie dus à la capacité de la compassion pour soi de désactiver le système de réaction à la menace du corps (qui est associé à l’insécurité et aux comportements de défense) et d’activer le système d’auto-apaisement (qui est associé au sentiment de sécurité). Alors que l’autocritique signale à une structure cérébrale appelée amygdale qu’une menace est présente – augmentant ainsi la pression sanguine, l’adrénaline et le cortisol corporels – la compassion pour soi déclenche la libération d’ocytocine, une hormone qui participe à la régulation du stress et à l’apaisement du système nerveux.
La compassion pour soi n’est pas toujours chose facile
Malgré les nombreuses recherches démontrant les bienfaits mentaux et physiques de la compassion pour soi, cette pratique est souvent méconnue, négligée, voire évitée. Certaines personnes ne connaissent pas la compassion pour soi parce qu’elle n’est jamais, ou très rarement, enseignée par les parents ou les éducateurs. Lorsque les enfants recherchent la compassion, le réconfort et le soutien, et qu’ils reçoivent une réponse appropriée, ils sont plus susceptibles de développer ces compétences eux-mêmes. De plus, les enfants qui se sentent plus en sécurité dans leurs relations (c’est-à-dire qu’ils se sentent dignes d’être aimés et ne craignent pas d’être abandonnés) ont souvent plus de compassion envers eux-mêmes plus tard dans leur vie. À l’inverse, lorsqu’on répond aux enfants par le rejet, la critique ou même la surprotection, on invalide leur besoin de compassion, ce qui diminue leur capacité à s’en procurer et conduit souvent au développement d’habitudes autocritiques.
Même pour ceux qui connaissent la compassion pour soi, le malentendu sur ce qu’elle implique vraiment peut constituer un autre obstacle. Bon nombre de mes patients s’y refusent en argumentant qu’elle va les rendre égocentriques, narcissiques, complaisants ou paresseux. Ils disent qu’ils ne méritent pas d’avoir de la compassion pour eux-mêmes parce qu’ils sont des personnes mauvaises ou sans valeur. J’y vois la crainte de stagner et le risque de méjuger eux-mêmes davantage. C’est compréhensible : je demande à mes patients, et à vous, d’essayer quelque chose de nouveau. Mais considérez que ce que vous faites – vous critiquer, vous juger et vous punir – vous éloigne en fait de vos objectifs et vous plonge dans des schémas d’évitement, de haine de soi, de rumination et d’égocentrisme. En adoptant une approche compatissante à l’égard de vos échecs et de vos erreurs, vous serez davantage motivé à modifier vos comportements, car la perspective de commettre d’autres erreurs sera moins menaçante.
Et pour ceux d’entre vous qui croient être sans aucun mérite, se pensant mauvais ou sans valeur, réalisez que ces croyances peuvent également être ancrées dans la peur ; la peur de vous décevoir et de décevoir les autres plus que ce que vous croyez avoir déjà fait. La peur de vous enfoncer plus profondément dans le trou de haine de soi où vous habitez déjà. Considérez que votre tendance à l’autocritique est un acte de violence envers vous-même, que vous vous tenez au-dessus du trou sombre dans lequel vous vivez, refusant de vous passer une échelle pour vous aider à en sortir.
Dans cet article, je vous propose plusieurs étapes et exercices pratiques pour commencer à cultiver et à adopter la compassion pour soi. Puisse-t-elle être l’échelle qui vous permettra d’échapper au trou d’autocritique dans lequel vous vous trouvez.
Quoi faire
Apprenez à identifier l’autocritique
Si vous êtes comme beaucoup de gens, votre tendance à l’autocritique est devenue une habitude profondément ancrée. Elle est si automatique que vous ne vous en rendez peut-être même pas compte. Pourtant, reconnaître que vous êtes tombé dans le piège de l’autocritique est la première étape cruciale pour vous en libérer et pratiquer davantage la compassion pour vous-même. Comme le dit le psychiatre Daniel Siegel : « Nommez-le si vous voulez l’apprivoiser. »
Cette étape consiste à vous poser des questions qui peuvent vous aider à comprendre vos tendances autocritiques, plutôt que de les considérer comme des vérités sur vous-même. Il peut être utile, au début, de s’exercer à cette étape lorsque vous vous sentez calme plutôt que dans le feu de l’action, afin de vous entraîner à identifier plus facilement vos réponses dans un futur moment d’autocritique. Repensez à la dernière fois où vous avez été dur envers vous-même, et réfléchissez aux questions suivantes :
- Me suis-je traité de tous les noms ? Notez toute étiquette de jugement telle que « stupide », « idiot » ou « bon à rien ».
- Est-ce que je dramatisais à outrance ? Vérifiez quelle est la menace que vous redoutez. Des pensées telles que « Je vais certainement perdre mon emploi », ou « Je parie qu’ils regrettent de m’avoir invité à la fête » sont des distracteurs autocritiques qui vous empêchent de réfléchir à ce que vous ressentez réellement (par exemple, « Je me sens peu sûr de moi après avoir fait cette présentation au travail » ou « J’ai honte de la quantité d’alcool que j’ai bue à la fête »).
- Ai-je utilisé des mots comme « il faut » ou « je dois » ? Si vous utilisez de tels mots ce sont des indices qui montrent que vous ne vous acceptez pas ou que vous n’acceptez pas vos comportements.
- Mon corps montrait-il des signes de stress ? Remarquez si votre corps s’est crispé, si votre respiration est devenue plus courte, si vos sourcils se sont froncés, si vous avez croisé les bras, ou tout autre signe indiquant que vous êtes en désaccord avec vous-même.
L’autocritique prend de nombreuses formes et chacun en fait l’expérience différemment, mais si vous répondez « oui » à certaines ou à toutes les questions ci-dessus, c’est peut-être un signe que vous êtes tombé dans l’autocritique. Une fois que vous avez identifié vos réponses, n’oubliez pas d’être à l’affût de ces indices à l’avenir. Et maintenant que vous l’avez nommé, vous pouvez commencer à le dompter et à adopter une attitude plus compatissante envers vous-même.
Faites-vous ami avec votre critique intérieur
Nombre de mes patients, après avoir identifié les façons dont ils se sont critiqués, commencent ironiquement à critiquer leur critique intérieur, perpétuant ainsi le problème. C’est meta, ça arrive, et c'est la façon dont le cerveau s'accroche à un schéma dont il pense qu’il a longtemps été utile.
Pour éviter ce piège, une fois que vous avez identifié la façon dont vous vous autocritiquez, vous pouvez commencer à vous lier d’amitié avec votre critique intérieur. Cela peut sembler contre-intuitif, mais c’est payant à long terme. Vous pouvez le faire rétrospectivement ou au moment où vous surprenez votre critique intérieur en train de vous parler.
Imaginez que votre critique intérieur est un être qui vit dans votre cerveau et qui vous parle. Plutôt que de prendre ce qu’il dit (par exemple, « Tu es tellement pathétique ») pour vrai ou de le critiquer pour avoir parlé, abordez votre critique intérieur avec curiosité ; une attitude du type « Oh, c’est encore toi ». Réfléchissez, soit intérieurement soit par le biais d’un journal, à ce que votre critique intérieur essaie de vous dire. Essayez de voir si vous pouvez répondre aux questions suivantes :
• Pourquoi mon critique intérieur s’est-il manifesté et m’a-t-il dit cela juste maintenant ?
• Sur quelle émotion mon critique intérieur me demande-t-il de me concentrer ?
• Mon critique intérieur craint-il que je sois en danger ?
Le principe est le même que celui d’un professeur de mathématiques qui demande à ses élèves de « trouver X ». Un étudiant avisé pourrait demander : « Pourquoi ? Que va me dire X ? Que pourrai-je faire une fois que j’aurai trouvé X ? ». Une fois que vous avez une réponse à ces questions qui vous aident à comprendre le but de votre critique intérieur, remerciez-le d’avoir attiré votre attention. Vous pouvez lui dire : « Merci, critique intérieur, d’attirer l’attention sur le fait que ma liste de choses à faire n’est pas terminée aujourd’hui. Je sais que tu me dis que je suis pathétique, mais je pense que tu me dis aussi de remarquer mon inquiétude à l’idée que, si je ne fais pas ce qui est sur ma liste de choses à faire, je vais prendre du retard dans mes factures et devoir payer des frais de retard. Merci pour cette information. Il est temps de résoudre le problème du paiement de ces factures. »
Reformulez les pensées moralisatrices en pensées factuelles
En plus de vous lier d’amitié avec votre critique intérieur, voici une autre façon de réagir : essayez de recadrer les commentaires de votre critique intérieur sans porter de jugement. Souvent, ils se manifestent sous la forme de pensées moralisatrices, comme « Je suis tellement pathétique ». Au lieu de prendre ces déclarations pour argent comptant, il peut être utile de les reformuler de manière factuelle et objective. Ce faisant, vous vous aiderez à réfléchir à la signification de ce type d’autocritique d’une manière moins punitive et plus compatissante.
Ainsi, si votre critique intérieur vous dit : « Tu es trop curieux. Tu n’aurais pas dû poser des questions aussi personnelles », vous reformulerez cette affirmation de la manière la plus factuelle possible. Par exemple : « J’ai posé une question sur le mariage de mon patron que, je souhaiterais n’avoir pas posée. »
Remarquez les différentes étapes utilisées pour reformuler cette déclaration de manière factuelle : J’ai précisé le nombre de questions que j’ai posées (une). J’ai décrit le sujet de mes questions (leur mariage). J’ai supprimé les jugements (les adjectifs « curieux » et « personnel »). J’ai remplacé « aurais dû » par une déclaration de souhait ou de désir.
Vous vous demandez peut-être quel est l’intérêt de transformer des jugements en déclarations factuelles. Après tout, nous avons besoin de porter des jugements. Ils nous aident à déterminer s’il est prudent de traverser la rue ou s’il ne faudrait pas manger d’abord les restes au fond du réfrigérateur. Mais certains jugements déforment notre perception de la réalité ; en particulier les jugements évaluatifs (par exemple, qui poussent à considérer quelque chose comme bon ou mauvais, méritant ou non). De tels jugements ne nous permettent pas toujours de voir les choses telles qu’elles sont réellement. Et si nous ne voyons pas les choses clairement, nous ne pouvons pas commencer à les accepter. Ce principe s’applique aux pensées moralisatrices autant qu’à toute autre chose.
En ramenant la situation à ses faits indiscutables, vous éliminez la brume du jugement qui peut vous entraîner dans une réalité alternative basée sur vos interprétations et vos hypothèses sur vous-même et sur le monde. Si vous vous en tenez à « je suis trop curieux », vous pourriez en conclure que parler à votre patron est dangereux et qu’il faut l’éviter à tout prix. En revanche, si vous prenez le comportement pour ce qu’il est (« J’ai posé une question... »), vous avez la possibilité de réfléchir au comportement lui-même plutôt qu’à ce qu’il signifie pour vous. Plutôt que de conclure : « Je dois éviter mon patron à partir de maintenant car je n’ai manifestement pas de limites », vous pourriez conclure : « À l’avenir, je vais tenter de réfléchir davantage aux sujets de conversation qui sont appropriés sur le lieu de travail ». Vous réduisez l’autocritique et réfléchissez de manière plus constructive à la façon dont vous pouvez tirer des leçons de ce qui s’est passé.
Pratiquez le contact apaisant
Le fait de reformuler les jugements en tant que faits ne permet pas toujours de supprimer complètement l’autocritique, et c’est là que le contact apaisant est utile. Rappelez-vous d’un moment dans un passé récent où vous pensez vous être mis dans l’embarras. Vous avez peut-être accidentellement porté des pantoufles au travail, vous avez eu de la nourriture coincée dans vos dents, ou vous avez appelé votre patron « maman ». Il s’agit là de déclarations factuelles, dénuées de tout jugement. Et pourtant, vous pouvez avoir une réaction viscérale sur le moment ou après coup en y repensant. Pensez au moment exact où l’événement s’est produit et où vous avez remarqué que vous étiez gêné. Qu’est-ce que cela a fait dans votre corps ? Qu’est-ce cela fait maintenant alors que vous vous remémorez ce souvenir ?
La plupart des gens savent que ce qui se passe dans notre cerveau influe sur ce qui se passe dans notre corps. Par exemple, si vous avez une pensée préoccupante, votre corps se crispe. Ce que l’on sait moins, mais qui est tout aussi important, c’est que la relation entre le corps et le cerveau est bidirectionnelle. Dans les moments d’autocritique, vous pouvez vous retrouver à adopter des postures spécifiques : froncer le nez, croiser les bras ou raidir la lèvre supérieure, pour n’en citer que quelques-unes. Comme la relation est bidirectionnelle, changer votre posture corporelle peut combattre les pensées autocritiques et augmenter les pensées de compassion pour soi.
L’une des façons pour le faire est de pratiquer le contact apaisant. Pensez à ce que vous ressentez lorsqu’un membre de votre famille, un ami ou un partenaire vous prend dans ses bras, vous tient la main ou vous touche doucement l’épaule. Même si nous dépendons souvent des autres pour vivre cette expérience sensorielle, vous pouvez en réalité la faire vous-même. Ainsi, pour pratiquer la compassion pour soi, essayez de vous entourer de vos bras, de vous allonger sous une couverture douce ou lestée, de vous caresser le bras ou de toucher votre cœur ou votre joue avec votre main.
Votre propre contact apaisant est une ressource qui est toujours à votre disposition. C’est une technique que vous pouvez utiliser soit dans un moment d’autocritique (de manière discrète si nécessaire, par exemple lorsque vous êtes devant votre PDG et vos collègues et que vous n’arrivez pas à trouver les mots que vous aviez répétés), soit dans un moment de retour sur soi pénible. Bien qu’il s’agisse d’un contact tactile, le toucher doux et apaisant envoie des signaux de sécurité et de réconfort au cerveau, déclenchant la libération d’ocytocine qui réduit l’anxiété et augmente les sentiments de confiance et de satisfaction.
Parlez à une version plus jeune de vous-même
Si, à ce point de votre lecture, vous continuez à trouver difficile d’accéder à un état de compassion pour soi, voici une autre technique qui peut vous aider.
Étant donné que nous sommes nombreux à nous critiquer nous-mêmes et à scruter nos moindres comportements, il peut être beaucoup plus facile – surtout au début – de diriger la compassion vers l’extérieur de nous-mêmes avant de la tourner vers l’intérieur. Cela inclut la compassion envers une version plus jeune de vous-même.
Lorsque vous offrez de la compassion à une version plus jeune de vous-même, vous sortez de la rigidité cognitive qui alimente généralement la tendance à l’autocritique et les sentiments de honte. En vous décentrant et en vous connectant à une version de vous-même qui n’est pas techniquement présente, vous constaterez peut-être que vous pouvez plus facilement adopter une approche compatissante.
J’ai utilisé cet exercice avec un patient – appelons-le Paul – qui pensait n’avoir pas réussi à faire une bonne première impression lors de sa rencontre avec les parents de sa compagne. Il m’a dit qu’il était certain d’avoir gâché sa relation et, qui plus est, il considérait que c’était peut-être mieux ainsi, car il ne méritait de toute façon pas d’être dans une relation. Après qu’il ait traversé une tornade d’auto-jugement, je lui ai demandé : « Que diriez-vous à une version plus jeune de vous-même qui se sentirait ainsi ? »
Paul a réfléchi à ma question et a répondu :
Quand je pense à la façon dont ce dîner s’est déroulé, ça me met très mal à l’aise. Si mon jeune moi se sentait honteux, qu’est-ce que je lui dirais ? Peut-être : « Whaou ! Avoir honte, c’est la pire des choses. Je sais à quel point ce sentiment est inconfortable ». Je me sens aussi sans espoir pour ma relation. Je pense que je dirais à mon moi plus jeune quelque chose comme « Se sentir désespéré peut être si sombre et effrayant. »
Comme le cas de Paul l’illustre, il est plus efficace de faire cet exercice en identifiant l’émotion que le moi-du-présent ressent, en laissant de côté le contexte de votre situation actuelle. Déjà parce que le jeune-vous n’a probablement pas l’expérience du contexte actuel (une version de vous âgée de quatre ans n’est probablement pas prête à "rencontrer ses beaux-parents »). Ensuite, identifier l’émotion est également utile pour vous distancer des détails qui pourraient alimenter l’auto-jugement et l’autocritique afin de vous diriger vers une description plus factuelle. Ainsi, "J’ai fait chou blanc lorsque sa mère m’a demandé si je voulais avoir des enfants un jour » devient : « Je m’inquiète à l’idée que sa mère pense que je ne suis pas engagé. Donc, je ressens de la peur. »
Cet exercice fonctionne parce que, en fin de compte, le jeune vous et le vous d’aujourd’hui sont une seule et même personne. En vous adressant à une version plus jeune de vous avec douceur et tendresse, vous développez subtilement une approche plus compatissante envers vous-même. Dans les moments d’autocritique, essayez de vous demander : « Qu’est-ce que je dirais à une version plus jeune de moi-même qui se sentirait ainsi ? »
Identifiez vos valeurs
Vous constaterez que la pratique de la compassion pour soi est plus efficace lorsqu’elle vise à répondre à vos besoins, plutôt que d’être une vague promesse d’être plus gentil avec vous-même. Pour comprendre vos besoins, vous devez d’abord avoir une idée de ce qui vous importe le plus dans la vie. C’est dans les moments où vous ne vivez pas en accord avec vos valeurs – et donc où vous ne pratiquez pas la compassion pour soi – que vous avez tendance à souffrir le plus.
J’ai moi-même traversé ce processus au cours des deux dernières années. J’ai accepté de prendre plus de clients qu’il ne m’était possible de gérer, et j’ai accepté de les rencontrer aux heures qui leur convenaient le mieux - tôt le matin et tard le soir, des moments de la journée que j’aurais autrement consacrés à prendre soin de moi et à me détendre. Je me suis retrouvée coincée dans un cycle où : (1) j’acceptais quelque chose qui repoussait mes limites personnelles ; (2) je me jugeais pour avoir pris cette décision ; et (3) je rationalisais la décision en me rappelant à quel point je tenais à aider les autres. Comme on pouvait s’y attendre, ce cycle m’a épuisé. Je me réveillais la plupart des matins en redoutant la longue journée de travail qui m’attendait, en me jugeant pour avoir eu les yeux plus gros que le ventre et en croyant que ma seule option était de prendre sur moi pour aller au bout de ma journée.
Je me suis donc assise et j’ai consacré 10 minutes à réfléchir aux mêmes questions que celles que je pose à mes clients pour les aider à clarifier leurs valeurs. Voici mes réponses :
1. Que voulez-vous que votre nécrologie dise de vous et de la façon dont vous avez vécu votre vie ? Je veux que ma nécrologie dise à quel point j’avais à cœur d’aider les autres et comment j’ai consacré ma carrière à soigner, à faire de la recherche et à écrire sur la santé mentale. Mais je veux aussi qu’elle dise que j’ai profité pleinement de ma vie ; que j’ai voyagé, passé du temps avec les gens que j’aimais et fait des choses qui me procuraient de la joie, comme lire, écrire, faire de la randonnée, cuisiner et faire des voyages décidés à la dernière minute.
2. Quelles valeurs pourriez-vous extraire de votre nécrologie ? Si j’apprécie d’être dans le partage et de soutenir les autres, c’est plus nuancé que cela. J’apprécie clairement l’équilibre entre prendre soin des autres et prendre soin de moi-même. J’apprécie le repos, la créativité, l’apprentissage et la spontanéité. Enfin, j’apprécie le fait de me choisir quand il est sain de le faire, ce qui signifie parfois dire non aux autres.
3. De quelles manières ne vivez-vous pas en accord avec ces valeurs ? Je ne prends pas soin de moi comme j’aimerais le faire en ce moment. Je me sens surmenée et épuisée la plupart du temps. Je ne prends pas le temps de faire ce que j’aime le plus.
4. De quoi avez-vous besoin à court et à long terme ? À court terme, je dois donner la priorité à prendre soin de moi, ce qui implique des changements mineurs, comme lire pour le plaisir avant de me coucher au lieu de consulter mes e-mails. J’ai également besoin de dire « non » plus souvent, même si cela me met mal à l’aise. Peut-être qu’un jour de congé dans les prochaines semaines serait utile, et une bonne façon de montrer l’exemple à mes patients. À long terme, je devrais peut-être modifier mon emploi du temps - voir moins de patients, terminer plus tôt le soir, ou envisager une semaine de congés pour me ressourcer.
Après avoir répondu à ces questions, ma compréhension de moi-même et de ma situation avait changé. Auparavant, mes jugements et mon autocritique étaient omniprésents. Après, j’ai pu constater par moi-même que je m’étais retrouvée dans une situation qui ne correspondait pas à mes valeurs, et je me suis sentie capable de donner la priorité à mes besoins. Vous pouvez faire le point avec vous-même - et diriger votre autocompassion - en répondant à ces questions dans les moments difficiles, ou en vous réservant un moment pour les revoir une fois par semaine, par mois ou par an.
Plus vous pratiquerez la compassion pour soi en utilisant ces exercices, plus vous constaterez, je l’espère, que le ton de votre voix intérieure change et que votre critique intérieur se transforme en un ami intérieur aimant et compatissant. N’hésitez pas à choisir les exercices qui vous touchent le plus, en sachant qu’il n’existe pas d’approche unique de la compassion pour soi. Il s’agit d’un travail profondément personnel et difficile qui nécessite quelques essais et erreurs.
Points clés - Comment être plus gentil avec soi-même
1. L’autocritique ne fonctionne pas. Au lieu de vous protéger du jugement des autres, l’autocritique vous soumet au vôtre.
2. La compassion pour soi est une alternative bénéfique. Il ne s’agit pas de renforcer votre estime de soi. Il s’agit plutôt d’une attitude bienveillante, d’un sentiment d’humanité partagée et de pleine conscience, qui apporte de nombreux avantages sur le plan mental et physique.
3. La compassion pour soi n’est pas toujours facile à acquérir. Vous pouvez penser que vous ne le méritez pas. N’oubliez pas que le fait d’adopter une approche compatissante à l’égard de vos échecs et de vos erreurs augmentera votre motivation à changer de comportement.
4. Apprenez à identifier l’autocritique. Si c’est devenu une habitude bien ancrée, vous ne vous en rendez peut-être même pas compte.
5. Soyez ami avec votre critique intérieur. Cela peut sembler contre-intuitif, mais c’est payant à long terme.
6. Reformulez vos jugements en pensées factuelles. Ainsi, vous réduirez votre autocritique et réfléchirez de manière plus constructive à la façon dont vous pourriez tirer des leçons de ce qui s’est passé.
7. Pratiquez le contact apaisant. Essayez de vous entourer de vos bras, de vous allonger sous une couverture douce ou lestée, de vous caresser le bras ou de toucher votre cœur ou votre joue avec votre main.
8. Parlez à une version plus jeune de vous-même. En vous décentrant et en vous connectant à une version de vous-même qui n’est pas techniquement présente, vous constaterez peut-être que vous pouvez plus facilement adopter une approche compatissante.
9. Identifiez vos valeurs. La compassion pour soi est plus efficace lorsqu’elle vise à répondre à vos besoins, plutôt que d’être une vague promesse d’être plus gentil avec vous-même. Pour comprendre vos besoins, vous devez d’abord avoir une idée de ce que vous appréciez le plus dans la vie.
L’aspect social de la compassion pour soi
Comme beaucoup d’autres, vous avez peut-être du mal à faire preuve de compassion pour vous-même (et vous êtes le plus critique envers vous-même) dans les moments où vous éprouvez des émotions telles que la honte, la déception ou l’humiliation. Ces émotions peuvent susciter l’envie de se cacher, de se retirer et de dissimuler, ce qui crée une distance avec l’environnement social. C’est un instinct d’autoprotection, mais il peut être contre-productif. Bien que ce soit la dernière chose que vous ayez envie de faire, et que cela vous semble quelque peu contre-intuitif, la chose à faire par compassion dans ces situations est souvent de s’engager avec les autres.
Déjà, le fait d’être entouré d’autres personnes offre la possibilité de recevoir de la compassion de leur part. Recevoir la validation de notre environnement est l’une des façons dont nous apprenons à nous la donner à nous-mêmes ; inversement, ne pas recevoir de validation de notre environnement (ou être invalidé) peut conduire à des schémas d’autocritique. Le fait de s’engager avec d’autres personnes augmente également la probabilité que vous voyiez d’autres personnes pratiquer l’autocompassion, ce qui peut vous permettre d’utiliser plus facilement ces stratégies car elles ont été montrées comme des pratiques normales par des personnes en qui vous avez confiance qui peuvent vous servir de modèles. Enfin, il arrive parfois que la présence d’autres personnes soit exactement ce dont vous avez besoin pour stopper net vos habitudes d’autocritique et faire disparaître la honte, la déception ou l’humiliation.
En fait, la recherche montre que le fait d’agir à l’opposé d’un comportement dicté par une émotion peut être un moyen efficace de se libérer de cette émotion. Par exemple, disons que vous ressentez de la honte après avoir partagé quelque chose de personnel avec des collègues et que votre envie est de déjeuner seul. Vous avez peut-être des pensées autocritiques telles que « De toute façon, personne ne veut de moi », ou « J’ai gâché toutes les chances que nous soyons amis ». Si vous persistez et déjeunez seul, cela renforcera l’idée que vous avez fait quelque chose de mal, quelque chose qui mérite la critique. Une approche plus compatissante – qui vous fait comprendre que vous méritez d’être entouré et de voir vos besoins sociaux comblés – consisterait à identifier un comportement opposé à celui de déjeuner seul (par exemple, déjeuner avec ces collègues ou déjeuner à votre bureau tout en parlant au téléphone à votre meilleur ami) et à prendre la décision de l’adopter.
N’oubliez pas, cependant, que le fait d’être seul est parfois un acte d’autocompassion lorsque le temps passé seul répond à un désir ou à un besoin, comme le repos, le calme ou une déconnexion bienvenue. Décider de pratiquer la compassion pour soi en privé ou en présence d’autres personnes peut s’avérer difficile pour certains, et un bon point de départ pour déterminer ce qui vous convient à un moment donné est de vous demander : « De quoi ai-je vraiment besoin en ce moment ? »
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