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Photo du rédacteurNathalie Boisselier

Entraîner la résilience [2] : identifier les pièges du raisonnement

Il n’est pas si simple de réfléchir et de nombreux pièges peuvent se glisser dans nos raisonnements sans même que nous nous en rendions compte.

Ces pièges du raisonnement sont des manières rigides de pensée qui peuvent empêcher les gens d’agir ou de faire face efficacement aux situations qu'ils rencontrent quotidiennement.


Le point de vue de la psychologie positive

En thérapie cognitive, de nombreux chercheurs s’y sont intéressés et notamment Martin Seligman à qui l’on doit d’avoir introduit le domaine de la psychologie positive. Martin Seligman s’est plus particulièrement penché sur la manière dont les personnes expliquent les causes des évènements qui leur arrivent, les succès comme les échecs. Selon lui, chacun aurait dans ce domaine un style qui lui est propre et habituel, qu’il utiliserait comme une sorte de réflexe.


Le point de vue des TCC

Une autre ligne de recherche provient des travaux d’Aaron Beck, le fondateur de la Thérapie Comportementale et Cognitive (TCC), et de son collègue David Burns. Pour ces psychologues, beaucoup d’entre nous feraient des erreurs de logique, particulièrement lorsque nous sommes un peu fatigués et à cours de ressources. Ces erreurs de logique (ou biais cognitifs) conduisent à des distorsions cognitives. Les erreurs de logique et distorsions cognitives sont des croyances dysfonctionnelles et contre-productives. Elles affectent notre santé mentale, nous empêchent de résoudre correctement les problèmes que nous rencontrons et peuvent affecter nos relations avec les autres.


Mais peu importe que l’on s’attarde sur les travaux de Seligman ou sur ceux de Beck & Burns, il existe des points communs et notamment le fait que notre façon de penser peut devenir plus rigide au fil du temps et des circonstances. Et parce que notre façon de penser devient rigide, c’est comme si se confronter à toute nouvelle situation se faisait en pilote automatique et se transformait en habitude qui outrepasse notre volonté consciente. Or, ces automatismes de pensée affectent notre capacité de résolution de problèmes parce qu’ils posent comme un filtre sur les situations en empêchant leur analyse objective. C’est pourquoi nous pouvons parler de ces erreurs et de ces distorsions cognitives comme de véritables pièges du raisonnement qui, au surplus, nous empêchent d’éprouver des émotions plus en accord avec la situation réelle. En ce sens, les pièges du raisonnement affectent la résilience et le bien-être, parce qu'ils nous font vivre sous le joug de la menace, fut-elle imaginée et disproportionnée par rapport à la réalité.


Pourquoi réfléchir à notre façon de réfléchir

A ce point, vous vous demandez peut-être pourquoi il est si important de réfléchir à la manière de réfléchir. En fait, tout cela renvoie à un principe fondamental qui nous vient du psychologue Albert Ellis. Selon lui, ce ne sont pas les situations et ce qu’elles contiennent qui nous font sentir bien ou mal. D’après lui, ce sont plutôt ce que nous nous disons à nous-mêmes, c’est-à-dire nos croyances, qui impactent la manière dont nous nous nous sentons et dont nous réagissons. En conséquence, la raison pour laquelle il est important de réfléchir à notre manière de réfléchir est qu’il n’est pas toujours possible de contrôler les choses qui nous arrivent. En revanche, nous pouvons exercer un contrôle sur nos interprétations, sur la manière dont nous appréhendons les situations qui se présentent à nous. Ce contrôle renvoie à la flexibilité mentale, une des variables qui participent à l’optimisme et qui conditionnent la résilience. La flexibilité mentale permet d’envisager ce qui nous arrive selon plusieurs perspectives, de manière à analyser les choses de manière plus juste et efficace. Or, ce qui entrave le plus la flexibilité mentale sont ces fameux pièges du raisonnement.


Ce constat ne doit pas nous bloquer pour autant (soyons flexibles !) puisqu’il existe des stratégies pour changer nos habitudes de pensées. En améliorant la flexibilité mentale, ces stratégies permettent aussi d’améliorer l’autorégulation. En régulant les pensées s’ouvre la perspective d’une meilleure résilience, puisque réguler ses pensées revient aussi à mieux réguler ses émotions, ses comportements et sa physiologie. Donnons un exemple concret. Imaginez que vous venez de vous disputer avec votre conjoint. Dans ces moments, vous vous dites que tout cela va vous conduire au divorce, que votre relation va se terminer et que vous allez être très malheureux. Clairement, ces pensées vont impacter vos émotions, vos réactions et aussi votre corps, la manière dont vous vous sentez. Vous allez vous sentir agité ou alors ressentir la tentation du repli sur soi. Ces réactions sont bien conditionnées par la manière dont vous venez d’interpréter la situation.

Vous comprenez pourquoi il est important de bien connaître (et surtout reconnaître) les pièges du raisonnement, et spécifiquement cinq d’entre eux. Il y en a d’autres, bien sûr, et la liste ci-dessous est loin d’être exhaustive. Mais les cinq dont nous allons parler sont certainement les plus courants et les mieux partagés.

La lecture dans les pensées

Ce piège du raisonnement consiste à supposer que nous savons ce que les autres pensent, ou alors que nous nous attendons à ce qu’ils puissent deviner nos propres pensées. Bien sûr, la plupart du temps, quand nous nous livrons à ce genre d’exercice, nous en venons à imaginer qu’ils pensent quelque chose de mal ou de négatif sur nous, rarement du bien. Typiquement, ce type de piège peut amener à penser : « Il pense qu’il est meilleur que moi et que je n’aurais jamais dû avoir ce job ; c’est clair qu’il ne me respecte pas ».


La principale conséquence de cette erreur de logique est que nous cherchions à nous isoler, à prendre de la distance avec les autres. En d’autres termes, lire en permanence dans la pensée des autres est ce qui bloque le plus souvent la communication : pas besoin de leur demander ce qu’ils pensent, nous savons déjà ! Et pourtant, c’est ce que nous devrions faire. Nous devrions demander à la personne en face ce qui ne va pas, qu’est-ce qui est en train de se passer pour elle, qu’est-ce qu’elle est en train de penser de nous. Donc, nous nous laissons prendre au piège de la lecture dans les pensées parce que nous croyons déjà exactement savoir ce qui se passe dans la tête de l’autre et en oubliant de lui demander ce qui s’y passe vraiment. Et cette fâcheuse manie cause vraiment du tort parce qu’elle nuit particulièrement aux relations personnelles, et pas seulement au travail. Pensez à toutes les fois où vous avez oublié de demander à votre mari/femme ce qu’il pensait vraiment sans le lui demander, comme par exemple : « Et bien sûr, tu ne t’es pas soucié de me prévenir que tu allais rentrer plus tard du travail ; de toute façon, je ne compte pas ». Cette manière hâtive de conclure empêche de demander quelles étaient les raisons du retard afin de pouvoir en discuter, exprimer que l’on a été inquiet et déçu. A la place, survient le plus souvent une dispute épuisante dont en réalité, on souhaitait se passer.


Le biais d'internalisation

Ce piège consiste à croire que vous êtes la seule cause de vos échecs et de vos problèmes et que vous êtes nocif pour les autres. Et quand je dis « la seule cause », cela veut bien dire que la responsabilité des autres, des circonstances ou du hasard ne sont pas même envisagés à moindre part. En conséquence, il ne peut en ressortir que de la culpabilité et une estime de soi diminuée. Dans une spirale sans fin en découlent des humeurs tristes et la tentation de s’isoler, de se tenir à l’écart des autres. Et tout cela fait sens, n’est-ce pas ? Si une personne arpente la terre en partageant la croyance, revers après revers, déception après déception, que c’est entièrement de sa faute, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle ressente jour après jour autre chose que de la culpabilité et de la tristesse.


Le biais d'externalisation

Dans ce cas, c’est l’inverse : les autres et les circonstances sont la seule cause de vos échecs et de vos problèmes. Donc, dans le biais d’internalisation, c’est toujours votre faute ; dans le biais d’externalisation, c’est toujours la faute aux autres. Chaque échec rencontré est imputé aux autres et aux circonstances. C’est typiquement la personne qui dit être en retard à un rendez-vous à cause de la pluie et du trafic, mais jamais n’admet qu’elle est partie trop tard de chez elle. Ou alors l’étudiant qui se plaint d’un sujet d’examen trop difficile sans reconnaître qu’il n’a pas beaucoup révisé. Ce type de piège ne débouche pas sur des émotions très agréables. Souvent, l’échec est vécu avec irritation, voire avec colère et c’est bien compréhensible si l’on pense être encore et encore une victime. Tout ce que l’on peut ressentir, c’est d’être en permanence défavorisé, trahi, diminué dans ses droits et toutes sortes d’autres conclusions de la même eau. Il est alors normal de trouver de la colère et de l’agressivité pouvant aller jusqu’à de l’agression physique avec perte du contrôle de soi. Un tel biais n’aide pas à s’adapter aux circonstances. Donc, quand vous entendez quelqu’un blâmer et reporter en permanence la faute sur les autres gens, le monde, les circonstances, les politiciens ou le temps qu’il fait, alors c’est que cette personne est tombée dans le piège du biais d’externalisation. Et cette personne est vraisemblablement tout le temps en colère.

La catastrophisation

Ce piège consiste à imaginer et ressasser les pires (et les plus irrationnelles) conséquences de toutes les situations. Cette erreur de logique qui est couramment celle des pessimistes, est malheureusement très fréquente. Elle est aussi terrible car elle pousse à perdre une énergie considérable en ruminations. Les ruminations consistent à envisager en permanence le pire du pire de chaque situation jusqu’à épuiser l’esprit. Cela arrive à partir d’une situation, n’importe laquelle, qui sert de déclencheur. Et à partir de là, l'esprit se transforme en quelque chose comme un train lancé à grande vitesse qui va de gare en gare s’en arrêter, chaque gare représentant la pire conséquence imaginable de la gare précédente. Et toute cette énergie dépensée d’une gare à l’autre sans s’arrêter consomme de telles quantités d’énergie qu'il n’en reste finalement plus pour entreprendre la moindre action. Finalement, la catastrophisation pourrait se définir comme un déséquilibre entre l’évaluation d’une situation et la menace qu’elle contient vraiment. La menace est grossie démesurément tandis que les ressources pour y faire face sont simultanément sous-estimées.


Typiquement ce serait une personne qui vient d’avoir des mots avec un collègue de travail et qui s’engagerait mentalement dans la litanie suivante (qui peut durer des heures et parfois des jours) : « Voilà ! Soyons réalistes. Il est copain avec le patron… Il va commencer à lui dire du mal de moi en douce… Ils vont commencer tous les deux à m’espionner, à scruter tous mes faits et gestes… Je vais avoir un entretien de fin d’année épouvantable… Et en toute logique, dans une entreprise comme celle-là, ça veut dire que le licenciement n’est pas loin… Pas étonnant si je suis malheureux et que je rate ma vie. »


Evidemment, l’émotion la plus souvent associée à ce genre de piège est l’anxiété. Elle risque surtout d’affecter la capacité de se concentrer sur ce qui se passe réellement chez les personnes qui en sont victimes. Parfois, le stress va jusqu’à occasionner des migraines, des nausées, des maux de ventre, des sueurs, de l’agitation, des insomnies, des difficultés à respirer librement… En d’autres termes, imaginer encore et encore le pire finit par affecter la santé. La tentation peut être de s’isoler au maximum pour éviter toute situation menaçante. Mais en ne se confrontant pas au stress de la vie ordinaire, en envisageant chaque chose comme une véritable épreuve, tout ce que l’on risque est encore d’augmenter l’expression de ce type de raisonnement et donc l’anxiété et la fatigue qu’elle finit par occasionner.

Le biais d’impuissance

Ce biais consiste à penser qu’un événement négatif, n’importe lequel, va avoir des conséquences dans tous les domaines de votre vie et que vous n’avez aucun contrôle. Il comporte la croyance que les mauvaises choses sont durables et qu’il n’y a rien qui soit possible de faire contre ça. En ce sens, si les mauvaises choses sont là pour durer toujours sans possibilité de contrôle, il est normal d'éprouver un sentiment d’impuissance mais également de perte d’espoir. Cela donne l’impression d’être coincé et cela conduit souvent à abandonner des projets entrepris dès que le premier échec survient. Les personnes ne parviennent pas à envisager de solutions puisqu’elles pensent n'avoir de prise et de pouvoir sur rien. Les émotions associées sont la déprime et la sensation de ne pas avoir assez d’énergie pour trouver des solutions. Elles s’associent au manque de persévérance, à la perte de motivation et à la procrastination. Donc, la principale conséquence du piège de l’impuissance, c’est la passivité. Les personnes qui se laissent trop souvent prendre au piège de ce type de raisonnement ont alors tendance à s’isoler et à juste attendre que les choses se passent. Elles ne parviennent pas à trouver les éléments de la situation sur lesquels elles ont une influence, c'est-à-dire sur lesquels elle pourraient agir comme le font les optimistes. Elles abandonnent.


Se détacher des pièges du raisonnement

Reconnaître ses propres défauts de raisonnement est un bon début pour s’engager sur la voie du changement, qu’il s’agisse de mieux communiquer avec ses proches comme de cultiver un optimisme bienfaisant. C’est pourquoi je vous propose déjà un résumé des cinq pièges dont nous venons de voir le détail :

Maintenant, il est temps de faire un exercice et de vous mettre au défi. En effet, savoir que les pièges du raisonnement existent ne vous aidera pas si vous ne savez pas les identifier dans vos propres pensées et ensuite les déjouer. N’oubliez pas : l’optimisme s’apprend et cet exercice peut vous y aider :


 

Source

MOOC en ligne « Positive Psychology: Resilience Skills » (2019) proposé sur Coursera.org par Karen Reivich (PhD) de l’Université de Pennsylvanie

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