A cette question, la réponse est : pas très bien. Les humains sont d’assez mauvais juges de leur niveau d’intelligence avec une tendance à la surestimation, surtout si leur QI est bas. Et ce serait tant mieux… S’il n’existait pas les réseaux sociaux !
Une question déjà ancienne…
Déjà en 1637, le grand René Descartes notait avec un certain humour (et peut-être une pointe d’agacement) que les gens ont une très bonne opinion de leur niveau d’intelligence. Il en avait même fait la première phrase de son célèbre Discours de la Méthode :
“Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont“.
… et toujours d’actualité
Mais les choses ont-elles évolué ? Qu’en est-il de nos contemporains de 2020 ? Souffrent-ils toujours du même biais d’auto-complaisance ? En réalité, les chercheurs en psychologie n’en ont toujours pas fini de mettre à l’épreuve l’hypothèse de Descartes. Il existe ainsi tout un pan de la recherche qui s’intéresse à la manière dont les gens estiment leur intelligence psychométrique, et plus particulièrement leur QI.
Pour cela, la procédure expérimentale de leurs études est quasiment toujours la même. D’abord, des participants complètent des tests d’intelligences validés (matrices de Raven, etc.). Cette étape permet de calculer le QI réel des sujets, mais elle permet également aux chercheurs de leur demander ce qu’ils pensent de leur prestation — s’ils estiment avoir brillé ou s’être au contraire totalement loupés. Par exemple, sur une échelle de 1 à 5, comment estimeriez-vous votre performance ? Cette première auto-évaluation est dite « proximale », puisque l’estimation est demandée aux participants à proximité du moment où ils ont passé les tests de QI.
Ensuite, on présente oralement aux participants la courbe de Gauss de l’intelligence, comme celle reproduite ci-dessous et qui est extraite de l’étude de Von Stumm (2014). Bien entendu, la figure leur est expliquée minutieusement et le chercheur s’assure que ces explications ont été bien comprises. Après cette présentation, on demande aux participants d’estimer leur propre QI, de dire à quel niveau de la courbe ils pensent se situer. On parle alors d’« auto-évaluation distale de l’intelligence », c’est-à-dire à distance des tests qui ont permis d’évaluer le QI.
Exemple de figure utilisée pour expliquer la courbe d’intelligence aux participants. On leur précise que le QI moyen est de 100, voulant dire que 50% des gens ont un QI inférieur et 50% ont un QI supérieur (extrait de Von Stum, 2014).
Une distorsion mesurée entre QI réel et QI supposé
Toute l’analyse statistique consiste alors à évaluer le lien (la corrélation) qui existe entre le QI réel et le QI estimé par les participants. C’est ce qu’a fait Sophie von Stumm de l’Université Goldsmiths de Londres en 2014. Son étude a été réalisée auprès de 200 adultes britanniques âgés en moyenne de 34,6 ans (de 18 à 69 ans). Ils avaient tous été recrutés par petite annonce et aucun n’était étudiant en psychologie.
Et les résultats obtenus par la chercheure sont assez conformes à d’autres études réalisées auparavant. Ils indiquent effectivement que :
(1) Les personnes ayant objectivement les QI les plus faibles évaluent moins bien leur intelligence que les personnes ayant un QI élevé.
(2) Cet effet est plus prononcé dans les mesures distales que proximales. Cela veut dire que si les individus ayant les QI les plus faibles sont assez réalistes quand ils échouent à un test, ils ont tendance à "l'oublier". Quand on leur demande 2 heures plus tard quel est leur positionnement sur la courbe de Gauss, ils surestiment assez souvent leur QI.
(3) Ce n’est pas le fait d’être un homme ou une femme qui conduit à surestimer son QI. Ce qui y conduit, c’est le QI réel : plus il est faible, plus on se surestime.
(4) La différence entre le QI réel et le QI auto-évalué est quantitativement plus importante pour les auto-évaluations distales (estimation à distance des tests d’intelligence) que proximales (tout de suite après).
(5) L'auto-évaluation proximale est en moyenne plus juste que les scores distaux. Cette estimation faite tout de suite après les tests de QI est aussi plus étroitement corrélée au QI. Cela veut dire que l'impression laissée après avoir passé un test de QI ("J'ai bien réussi" ou "J'ai tout raté") est généralement la bonne, c’est-à-dire que cette estimation est la plus réaliste au regard du QI réel.
Des résultats conformes à d’autres études
Comme je l’écrivais plus haut, les résultats obtenus par Von Stumm (2014) sont assez conformes à ce qu’on retrouve par ailleurs dans la littérature scientifique. Kaufman (2012) avait par exemple montré que les gens ont tendance à surestimer leur QI d’environ 15 points. Il n’est donc pas rare qu’une personne ayant un QI de 100 se perçoive à 115. Ce biais d’auto-complaisance se manifeste surtout chez les individus ayant de plus faibles capacités, soit parce qu’ils sont incapables d’une estimation plus juste, soit parce qu’ils n’ont pas envie de se reconnaître certaines limitations intellectuelles en ressentant un certain embarras à l’idée de les avouer (e.g., Bailey & Lazar, 1976 ; Chambers & Windschitl, 2004 ; Dunning et al., 2003; Kruger & Dunning, 1999).
Se surestimer : une nécessité en termes d’évolution
Mais tout ceci n’est certainement pas grave, et même au contraire. Avoir une bonne opinion de sa propre intelligence est une condition nécessaire pour pouvoir entreprendre une tâche et la mener à son terme. Et peu importe si on se surestime un peu ! Avant de se donner ou relever un défi, il est effectivement nécessaire de s’en sentir capable, de penser que l’on va pouvoir dépasser ses limites et même surpasser les autres. En ce sens, l’estimation de son intelligence avec une louche généreuse participe à l’esprit d’entreprise en créant un sentiment de compétence et d’efficacité. Bien sûr, c’est plus grave quand la différence [QI estimé – QI réel] est très importante. A coup sûr, beaucoup d’échecs et d’incompétence en entreprise peuvent en partie s’expliquer en amont par cette distorsion cognitive… Mais c’est un autre débat !
De Darwin à Facebook
L’Evolution n’est donc certainement pas pour rien dans cette habile capacité à l’auto-duperie dont les humains sont doués. Si elle n’existait pas, nous serions tous et bien souvent paralysés face aux obstacles et aux défis de l’existence, dont certains peuvent nous sembler difficiles ou insurmontables. Il faut donc bien admettre que croire en soi ne va pas sans certains petits arrangements avec la réalité. Soit. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes…. Ou plutôt devrions-nous dire : tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’à l’avènement des réseaux sociaux et l’engouement déraisonnable pour le HPI qui s’est développé en parallèle.
En effet, depuis quelques années, des « groupes HPI » se sont développés sur Facebook. Très régulièrement, des participants y déclarent qu’ils n’ont pas besoin de se soumettre à un bilan de QI. Ils estiment se reconnaître suffisamment dans des descriptions faites dans des livres ou sur des blogs dont les auteurs n’ont que leur aplomb pour justifier leur spécialisation dans le domaine. De plus, comme les gens les moins agréables sont aussi ceux qui ont tendance à s’attribuer les scores d’intelligence les plus hauts (Furnham & Chamorro‐Premuzic, 2004), les débats qui en découlent ne sont pas toujours les plus cordiaux ; il ne fait pas bon les contredire. Le paradoxe est de taille puisque dans les faits, l'agréabilité (dont fait partie la modestie) est l’un des facteurs de personnalité les plus importants pour donner une évaluation juste de son intelligence (Furnham, Moutafi, & Chamorro‐Premuzic, 2005).
Cet effet Barnum à une aussi vaste échelle ne doit pas faire oublier que les tests d’intelligence ne sont pas là pour servir à redorer l’estime de soi des personnes, même si cela fait toujours du bien de s’entendre dire qu’on est intelligent. Ils servent à l’orientation scolaire et professionnelle, ou encore participent au diagnostic de certaines pathologies ou troubles des apprentissages. Utilisés en avant/après, ils permettent également de mesurer une perte de capacités cognitives (trauma crânien, maladie neurodégénérative…). Avoir un QI élevé aide ainsi à réussir à l’école, mais jusqu’à preuve du contraire, affirmer qu’on a un QI supérieur n’a jamais permis de passer dans la classe supérieure.
En revanche, cette inflation artificielle de l’ego chez leurs congénères a le don d’exaspérer les personnes qui se sont soumises à l’évaluation de leur QI chez un psychologue et dont le HPI a été dûment identifié. Ils ne sont pas tant exaspérés parce qu’ils auraient un bastion à défendre (celui d’une pseudo supériorité dont ils ne se réclament certainement pas), mais parce que les déclarations de ceux qui s’attribuent un HPI sans vérification brouillent les pistes. En effet, l’hypersensibilité ou encore la pensée en arborescence dont se réclament souvent les personnes qui s’auto-proclament HPI sont des concepts invalides et non-prouvés par la science. De la même manière, une personne HPI peut échouer à l’école ; mais ce n’est pas le HPI qui l’explique. Ainsi, les mythes autour du HPI et ceux qui s'y retrouvent ne font qu’isoler les personnes véritablement HPI en enlevant des chances qu’elles soient comprises pour ce qu’elles sont réellement.
Mais si c’était seulement le QI !
Prenons justement ce concept flou d’hypersensibilité qui n’a jamais reçu de preuve empirique. En 2004, Ames & Kammrath ont mise en question la relation existant entre la sensibilité réelle des personnes (telle que leur capacité à attribuer des intentions et des émotions à autrui) et la perception de leur propre sensibilité. Un peu comme pour le QI, les chercheurs ont constaté que le lien était faible, voire inexistant, et que la plupart des gens surestiment leur jugement social et leur capacité de lire l'esprit d’autrui. Ils ont également observé que ceux qui font le moins bien preuve de jugement social et de compréhension des autres surestiment radicalement leur compétence. Ames & Kammrath (2004) estiment en conclusion que cette surestimation de sa propre sensibilité renverrait à une tendance globale au narcissisme conduisant à une dangereuse inflation de l’ego.
Miroir, mon beau miroir…
Les humains que nous sommes ont une tendance à l’auto-complaisance qui touche bien des domaines, dont celui très sensible de l’intelligence. Si cette tendance renvoie à une capacité évolutive d’adaptation à la complexité du monde et de ses challenges, les seules parades sont la modestie et la bienveillance à l'égard d'autrui. Nous n'avons pas besoin d'être supérieurement intelligents pour réussir nos vies. Etre intelligent suffit. Mais plus que tout, rappelons-nous que ce qui nous importe le plus, ce sont souvent des choses simples qui s'exonèrent de notions comme le statut social ou même le pouvoir. Pour vous en convaincre, tentez de réfléchir à cette question : pour quelle(s) raison(s) souhaitez-vous qu'on se souvienne de vous après votre mort ? Parce que vous étiez celui qui gagnait le plus d'argent dans votre quartier ou parce que vous aurez été un(e) bon(ne) conjoint(e), père/mère, fils/fille, ami(e) ?...
Sources :
Ames, D. R., & Kammrath, L. K. (2004). Mind-reading and metacognition: Narcissism, not actual competence, predicts self-estimated ability. Journal of Nonverbal Behavior, 28(3), 187-209.
Descartes, R., & Gilson, E. (1987). Discours de la méthode. Vrin.
Furnham, A., & Chamorro‐Premuzic, T. (2004). Estimating one's own personality and intelligence scores. British Journal of Psychology, 95(2), 149-160.
Furnham, A., Moutafi, J., & Chamorro‐Premuzic, T. (2005). Personality and intelligence: Gender, the Big Five, self‐estimated and psychometric intelligence. International Journal of Selection and Assessment, 13(1), 11-24.
Von Stumm, S. (2014). Intelligence, gender, and assessment method affect the accuracy of self‐estimated intelligence. British Journal of Psychology, 105(2), 243-253.
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