Plus volumineux, disposant d'une organisation plus cohérente et plus efficiente, tel serait le cerveau des gens intelligents selon une étude scientifique parue en 2018 dans la prestigieuse revue Nature.
Le temps où l’on ne savait rien du « cerveau intelligent » est désormais révolu. Certes, bien des découvertes restent à faire et l’agenda pour le futur des chercheurs est bien rempli. Mais nous ne sommes plus dans le flou total, principalement grâce aux progrès fulgurants de l’imagerie cérébrale depuis les années 1990. Ces progrès sont d’ailleurs si considérables qu’il n’existe plus la possibilité d’écrire un seul article prétendant faire un point exhaustif sur ce que nous savons du cerveau intelligent.
Dans cette lignée, une équipe de neuroscientifiques allemands réunis autour d’Erhan Genç en 2018 a conduit une étude en imagerie du tenseur de diffusion (un type d’IRM) en association avec un test d’intelligence fluide (les matrices de Raven) pour montrer qu’il existait des différences entre les cerveaux selon le niveau d’intelligence. L’intelligence fluide est celle qui nous permet de raisonner sans faire appel aux connaissances antérieurement acquises. Elle est très révélatrice du facteur g d’intelligence générale.
Neurones et réseaux de neurones
Mais tout d’abord, levons le voile du mystère progressivement en commençant par quelques explications sur le cerveau lui-même. Le cerveau est constitué de cellules de base que sont les neurones, ou cellules nerveuses. Comme le montre le schéma ci-dessous, chaque neurone dispose de petites « tentacules » (appelées dendrites) et un axone qui se termine par d’autres « tentacules » ; elles forment une sorte d’arbre ou arborisation terminale. C’est en se connectant les uns aux autres par le biais des dendrites et des arborisations terminales que les neurones constituent les réseaux de neurones spécialisés nous permettant de fonctionner. Ces réseaux de neurones (ou réseaux neurocognitifs) sont ceux qui nous permettent d’apprendre, de raisonner, de former des souvenirs et de les rappeler, de prendre des décisions et d’agir en conséquence en commandant nos muscles. En bref, c’est par eux que transitent les influx nerveux qui ne sont rien d’autres que des transits d’informations.
Nous ne savons pas précisément combien nous avons de neurones dans le cerveau. Les estimations les plus sérieuses suggèrent que nous en aurions entre 90 et 100 milliards. Quant aux neurones, chacun d’eux se connecte à environ 10 000 autres neurones, ce qui ne représenterait pas moins de 1 000 trillions de connexions synaptiques, c’est-à-dire de connexions entre neurones. Ce chiffre n’est pas vraiment parlant. Pour l’illustrer d'une manière plus compréhensible, disons juste qu’il n’existe à ce jour aucun ordinateur au monde, pas même le plus puissant, qui soit capable de traiter à chaque instant le nombre colossal d’informations que peut traiter un cerveau humain. Et nous sommes encore loin de pouvoir fabriquer un tel ordinateur.
Le cerveau intelligent
Revenons-en maintenant à l’étude d’Erhan Genç. Avec ses collègues, le chercheur a pu montrer que le cerveau des individus les plus intelligents présentait des différences à la fois macrostructurelles et microstructurelles, c’est-à-dire des différences pratiquement visibles à l’œil nu et des différences microscopiques. Ces différences sont résumées sur le graphique ci-dessous extrait de l’étude.
Au niveau macroscopique, les individus intelligents disposeraient d’un nombre supérieur de neurones, c’est-à-dire de plus de matière grise. Cela se reconnaitrait à un volume cérébral plus important permettant vraisemblablement une plus grande puissance de traitement.
Au niveau microscopique, les auteurs relient la haute intelligence à des densités dendritiques et des arborisations plus faibles. Les neurones de tels cerveaux seraient également organisés avec une orientation moins dispersée et plus cohérente, particulièrement dans les régions identifiées pour appartenir aux réseaux de l’intelligence (lobes frontaux et pariétaux au-dessus du crâne). La performance intellectuelle est également susceptible de bénéficier de ce type d’architecture, puisque restreindre les connexions synaptiques au minimum nécessaire facilite la reconnaissance des informations pertinentes tout en économisant les réseaux et les ressources énergétiques. Il faut effectivement se souvenir qu’il y a beaucoup de « bruit » dans le cerveau, revenant à dire que beaucoup d’informations non pertinentes y circulent dans un beau chaos permanent. Trier entre les informations pertinentes et le bruit est donc une tâche très importante et surtout très gourmande en ressources énergétiques.
Les résultats publiés par Erhan Genç et ses collègues en 2018 suggèrent que les réseaux neuronaux associés à la haute intelligence sont donc organisés d’une manière plus parcimonieuse et efficiente, favorisant un traitement de l’information plus direct, et engageant une activité moindre lors du raisonnement.
Posséder un « cerveau intelligent » ne prédit pas que l’on fera des choses intelligentes, surtout parce que l’idée qu’on se fait des « choses intelligentes » varie d’une culture à l’autre, et même d’un groupe social à un autre. Par exemple, gagner beaucoup d’argent en vendant de la drogue sera considéré comme une réussite dans un groupe de dealers ; mais pour les parents de l’individu (et pour la société en général), ce type de performance sera considéré comme un échec. Mais si l’on s’accorde sur ce qu’est la réussite, alors un « cerveau intelligent » donne au moins une longueur d’avance quand l’environnement et les circonstances s’y prêtent.
Source
Genç, E., Fraenz, C., Schlüter, C., Friedrich, P., Hossiep, R., Voelkle, M.C, Ling, J.M., Güntürkün, O., Jung R.E. (2018) Diffusion markers of dendritic density and arborization in gray matter predict differences in intelligence. Nature communications, 9 (1), 1905. DOI: 10.1038/s41467-018-04268-8
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